Cégep Édouard-Montpetit, UQAM et Université de Montréal

De manière constante depuis les 10 dernières années, on constate une augmentation du nombre des familles issues de l’immigration ou de la diversité ethnoculturelle dans les services de garde et les services aux familles. Selon le ministère de l’Immigration, de la francisation et de l’intégration (2022)[1], la Montérégie est la seconde région la plus peuplée et la seconde destination des personnes immigrantes au Québec (après la région métropolitaine).
On constate aussi une surreprésentation des enfants racisés dans les signalements à la DPJ. Les causes demeurent à ce jour peu documentées, mais une étude soutenue par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), menée conjointement par l’Université de Montréal et le Centre jeunesse-Institut Universitaire de Montréal (Lavergne, Dufour, Couture, 2020)[2] a pu apporter des précisions intéressantes concernant la perception des intervenants jeunesse eux-mêmes sur la problématique de surreprésentation : on y dénote entre autres, les biais culturels des intervenants, les difficultés reliées à la communication interculturelle, le cadre temporel d’intervention mal adapté et l’insuffisance d’outils adaptés.
               

Qu’en est-il des éducateurs-trices à l’enfance et des intervenant(e)s communautaires qui côtoient les enfants et leurs familles quotidiennement? Les services éducatifs à la petite enfance constituent un environnement de vie incontournable, où les pratiques d’action éducatives doivent être harmonisées à celles de la vie familiale.
Le ministère de l’Enseignement supérieur a amorcé l’an dernier une refonte de son programme de formation collégiale en techniques d’éducation à l’enfance (TÉE). Suivant la consultation des milieux de pratique permettant d’ajuster le programme de formation aux besoins, le programme est présentement révisé avec le souci de mieux tenir compte de la diversité et des différences culturelles en éducation à l’enfance. Cette consultation, bien qu’elle dresse un portrait plus actuel de la fonction de travail, apporte peu de précisions sur les attentes des milieux de pratique quant aux habiletés des éducateurs-éducatrices en regard de l’inclusion et de la diversité ethnoculturelle.
               

Dans le domaine de l’éducation en général, mais particulièrement en petite enfance où il est primordial de travailler en partenariat étroit avec les familles, nous souhaitons que les organisations adoptent une approche inclusive. Nous définissons l’approche inclusive comme étant la capacité d’une organisation de moduler son fonctionnement et de démontrer de la flexibilité permettant d’offrir un environnement où chacun peut se sentir « chez soi », tout en accueillant et en respectant les besoins, les désirs et les perspectives individuelles (Gardou 2013)[3].
               

Pour adopter adéquatement une approche inclusive au sein de groupes multiculturels, les praticien(ne)s ont besoin de développer leur compétence interculturelle sur les plans cognitif, émotionnel et social. Il est difficile de définir la compétence interculturelle qui est une compétence individuelle non spécifique à une profession en particulier. Elle touche d’ailleurs à un ensemble de savoirs, de savoir-faire et savoir-être.  Selon Cohen-Emerique (2000)[4], les capacités-clés pour une intervention interculturelle réussie sont la décentration, la compréhension des perspectives d’autrui ainsi que la médiation (dialogue, échange).
               

Quels seraient les éléments-clés dans chacune des composantes de la compétence interculturelle (cognitive, émotionnelle et sociale) à cibler dans la formation offerte au personnel éducateur, pour développer une compétence interculturelle nécessaire à des interventions de qualité auprès de la clientèle en petite enfance ?
               

L’objectif général de cette recherche est de mieux connaître, dans les composantes cognitives, émotionnelles et sociales de la compétence, les difficultés, les préoccupations et les besoins concrets des praticiens-praticiennes auprès des jeunes familles de la diversité ethnoculturelle. De manière plus spécifique, cette recherche devrait permettre de :

  1. ;
  2. Intégrer efficacement les éléments du cadre conceptuel du développement de la compétence interculturelle dans les programmes de formation initiale et dans l’offre de formation continue en milieu de travail.

                L’ensemble des objectifs spécifiques de ce projet répondent aux deux objectifs suivants du programme du Pôle :

Orientations, démarche et outils méthodologiques.

Cette recherche sera fondée sur les orientations méthodologiques des recherches de type « collaboratives » (Desgagnés et al. 2001)[5]. La collecte de données sera d’ordre qualitatif, avec quelques éléments quantitatifs pour situer le contexte. Les échanges sur des idées, les conflits sociocognitifs et le partage des perspectives tenant compte des réalités de chacun permettront des réflexions partagées, complexes et riches. Le groupe de participant(e)s sera formé de six éducateurs/éducatrices à l’enfance œuvrant dans le réseau des centres de la petite enfance (CPE); deux intervenant(e)s des organismes communautaires famille de Longueuil œuvrant auprès des familles racisées et/ou immigrantes; deux membres du personnel de gestion pédagogique oeuvrant en CPE; et deux techniciennes en travaux pratiques du département TÉE du Cégep Édouard-Montpetit. L’étude sera réalisée sous forme d’un groupe de parole sur quatre séances de rencontres. À chaque séance, les discussions seront animées et alimentées par une capsule de formation sur un thème voulu, ou bien un atelier d’exploration sur des composantes de la culture, suivis de questionnements ouverts pour susciter la réflexion et les échanges chez les participants. 

Afin d’arriver à décrire les besoins des éducateurs-éducatrices en matière d’intervention interculturelle pour proposer des outils et des ressources efficaces et adéquates, nous recueillerons, après chaque atelier-rencontre du groupe, les expériences et perceptions de chacun à l’aide des journaux de bord (récits anecdotiques). Chaque page de journal de bord contient 3 sections : des questions d’appréciation sur les éléments de contenu et d’animation des ateliers, des questions portant sur les observations, les perceptions, les besoins identifiés, les suggestions et les expériences de chaque participant en regard de l’atelier vécu. Enfin, une section « ouverte » pour récolter des anecdotes émergentes en cours de projet, dont l’analyse permettra de mettre en lumière quelques recommandations d’outils pour soutenir les éducateurs-éducatrices dans leur rôle de médiateur-médiatrices culturelles. Pour compléter avec des informations sur le contexte (données quantitatives) de chaque atelier, la chercheure responsable colligera, à l’aide d’un court questionnaire, des informations sur la durée des séances, le nombre de participants, le niveau de participation, le nombre et les thèmes des sujets couverts (en partie ou en en totalité), etc.

 Afin d’arriver à proposer des orientations ou un cadre de référence pour intégrer efficacement le développement de la compétence interculturelle dans les programmes de formation initiale et dans l’offre de formation continue en milieu de travail, nous nous servirons des transcriptions des observations et des échanges recueillis lors des groupes de discussions. Les perceptions, les récits et les expériences échangées seront analysés en fonction de variables comme la conscience de sa propre identité culturelle, le degré d’exposition à la diversité, la fréquence des occasions d’exploration culturelle, les expériences personnelles de vie, et seront répertoriés à l’aide du repérage de concepts-clés à l’aide des réponses aux questionnaires et des journaux de bord. Les critères d’analyse seront choisis en fonction de variables comme : le contexte de déroulement des ateliers ou du groupe de parole, le caractère répétitif des commentaires, ou encore en fonction des thèmes récurrents dans les commentaires et perspectives partagées.

Transmission des résultats

Pour produire un rapport et des recommandations susceptibles d’intéresser autant la communauté scientifique en éducation que les professionnels de la pédagogie dans les Cégeps et les organismes formateurs, il nous apparaît important de présenter les informations dans un format visuel convivial, en utilisant le langage de la profession, et de manière bien schématisée. Il apparaît aussi très important de produire un rapport le plus rapidement possible après la fin des activités du groupe de recherche, et d’aller à la rencontre des acteurs intéressés par les résultats, pour maintenir l’intérêt des milieux de pratique pour le projet et assurer la mobilisation des organismes et institutions de formation dans l’intégration des savoirs et des recommandations occasionnées par cette recherche, dans les programmes de formation. Les activités de recherche permettront à la fois au groupe interordres de produire des connaissances au sujet des besoins des milieux de pratique à la base des éléments de compétences essentiels à développer en éducation interculturelle auprès de la clientèle petite enfance, mais elles permettront aussi de favoriser le développement professionnel chez les participants des milieux de pratique, tout en permettant à tous de s’engager activement dans une démarche globale visant la réflexion sur les pratiques actuelles et celles souhaitées.


[1] Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. (2022). Présence et portraits régionaux

des personnes immigrantes admises au Québec de 2010 à 2019. Gouvernement du Québec.

[2] Lavergne,C., Dufour, S. (2020). Les familles issues de la diversité culturelle et la protection de la jeunesse au Québec : constats et recommandations. Rapport soumis à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. CSDEPJ-P-068

[3] Gardou, C. (2013). Connaître le handicap, reconnaître la personne. Éres.

[4] Cohen-Emerique, M. (2000). L’approche interculturelle auprès des migrants. Dans L’intervention interculturelle, 161-184.

[5] Desgagné, S., Bednarz, N., Lebuis, P., Poirier, L. & Couture, C. (2001). L’approche collaborative de recherche en éducation: un rapport nouveau à établir entre recherche et formation. Revue des sciences de l’éducation, 27(1), 33–64. https://doi.org/10.7202/000305ar